Cette étude vise à étudier l’effet de la fidélité client quant à la négociation des prix à travers ce que les auteurs ont appelé le cycle “fidélité-réduction” qui explique comment fidélité et réduction des prix interagissent selon un cercle “vicieux” qui tire le prix vers le bas. Cette étude vise justement à expliciter comment échapper à ce cercle vicieux en mettant en place des comportements fonctionnels et/ou relationnels.
Jan Wieseke, Sascha Alavi et Johannes Habel, “Willing to Pay More, Eager to Pay Less: The Role of Customer Loyalty in Price Negotiations”, Journal of Marketing, 2014.
1- Sujet traité
En partant du postulat que la « fidélité client » est une source importante de revenus pour les entreprises, les auteurs déclarent que ces dernières s’appliquent à conserver la relation qu’elles acquièrent avec leurs clients quitte à faire des concessions qu’elles pourraient tout à fait éviter.
Cette étude vise à montrer les facteurs de la « fidélité client » opérant un impact dans la négociation des prix en insistant sur le fait que les entreprises sont en quelque sorte désavantagées dans cette situation, puisqu’elles consentent à accorder des réductions et à les renouveler de façon croissante afin de conserver le client. Cette étude s’appuie sur la théorie des échanges sociaux (ou SET, Social Exchange Theory ; Blau 1964; Homans 1974) afin d’expliquer pourquoi les clients fidèles arrivent à obtenir de plus grandes réductions de prix. Premièrement, ces clients s’engagent dans la négociation de manière plus intensive puisqu’ils attendent de la part de l’entreprise qu’elle récompense leur fidélité. Deuxièmement, les entreprises sont prêtes à accorder ces réductions plus facilement aux clients fidèles afin de ne pas menacer la relation qu’elles entretiennent avec ceux-ci.
2- Questions de recherche
Cette étude se propose d’analyser l’effet de la fidélité client dans le cadre de négociations de prix dans le but d’éclairer les managers à propos de leur politique de service et de prix auprès de leurs clients fidèles.
3- Conclusions
La première conclusion de cette étude est le fait que les clients ne sont pas naïvement enthousiastes envers les entreprises auxquelles ils sont loyaux mais qu’ils sont des acteurs rationnels évaluant les entreprises selon le degré d’utilité qu’elles peuvent leur apporter. La deuxième conclusion apporte une nouvelle dimension à la “fidélité client”perçue comme désirable pour les entreprises mais cette étude met en lumière le revers de la médaille, à savoir que les clients d’entreprises accoutumés à négocier reçoivent de plus importantes réductions de prix. De plus, cette étude nuance les apports d’études antérieures en mettant en exergue que certes, le client loyal est moins sensible au prix mais qu’il désire aussi de plus grandes réductions de prix afin d’atteindre une sorte de parité, d’équivalence lors de son échange avec l’entreprise.
4- Implications managériales
Tout d’abord, la première implication managériale est de tenter de faire prendre conscience aux entreprises qu’il existe une spirale négative entre fidélité client et réduction des prix et que ce cycle est une lame à double tranchant : les réductions affectent négativement les marges unitaires alors qu’elles augmentent la fidélité des clients et génèrent alors une source de revenus pour les entreprises. Les managers doivent donc considérer ce phénomène et déterminer au préalable quelle “quantité de fidélité” ils sont prêts à “acheter”.
Ensuite, au-delà de ces considérations, il est important que les managers mettent en place des comportements et mécanismes orientés vers les
aspects fonctionnels et relationnels des échanges avec les clients fidèles. Le client fidèle cherche à obtenir une récompense à sa fidélité et pour
échapper à la spirale fidélité/réduction, l’entreprise peut mettre en œuvre d’autres moyens comme des traitements spéciaux (personnel dédié, service plus rapide, etc.) ou des récompenses dont la valeur perçue par le client est supérieure aux coûts pour l’entreprise. En outre, plus la relation entre le client fidèle et l’entreprise perdure, plus la spirale fidélité/réduction est prononcée. Une stratégie d’évitement serait d’attribuer aux opérations de négociation de prix un personnel non accoutumé au client qui se trouve en face de lui. Enfin, les clients qui sont fidèles en raison d’une qualité et d’un service supérieurs sont moins enclins à négocier des prix que des consommateurs dont le prix est l’élément essentiel de leur satisfaction. Les entreprises devraient donc se concentrer sur le fait d’établir une fidélité basée sur la qualité plutôt que sur le prix.
5- Méthodologie
Pour rédiger cet article scientifique, quatre études ont été menées. La première de ces études concerne les données agrégées sur un an spécifiques aux transactions de 7229 clients uniques d’une chaîne de bijouterie européenne ayant effectué leurs achats entre 2008 et 2012.
La seconde étude a été menée sous la forme d’un sondage visant à évaluer l’expérience du dernier achat, envoyé par mail aux clients de cette chaîne de bijouterie en 2011 et ayant déjà effectué un achat auparavant. De plus, un échantillon aléatoire de clients ayant acheté pour la première fois en 2011 a été établi. Cette procédure a permis d’établir un échantillon de 1026 clients qui ont reçu le sondage à la moitié de l’année 2012. 158 réponses ont été obtenues soit un taux de réponse de 15.4%. Pour éviter un éventuel biais, les caractéristiques des achats ont été comparées et aucun biais n’a été mis en évidence. La troisième étude est basée sur un sondage auprès de 327 clients ayant interagi avec 129 vendeurs (72% d’hommes, plusieurs secteurs d’activité, en moyenne 15 ans d’expérience) et un sondage auprès de ces vendeurs afin d’évaluer leur expérience d’achat. La quatrième étude est une simulation de situation de négociation visant à discerner les mécanismes psychologiques responsables de l’effet positif de la fidélité sur les réductions de prix. 138 participants (âgés en moyenne de 24.8 ans, 52% de femmes) ont été choisis au hasard sur un campus et ont suivi un scénario d’achat de voiture auprès d’un concessionnaire. La collecte des données s’est faite par enregistrements audio puis par codage de ceux-ci (tel que pratiqué avec une grille heuristique par exemple).
6- Limites
Certaines limites de cette étude scientifique sont imputables à des aspects méthodologiques, par exemple, il n’est pas possible pour les auteurs d’écarter un éventuel biais de « non-réponse » dû au faible taux de réponse lors de l’expérience 2 ou encore le fait que les interactions
entre clients et vendeurs lors de l’expérience 3 aient pu être affectées par leur présence bien que non intrusive.
D’autres limites sont contextuelles. Premièrement, cette étude prend place dans une société à la culture plutôt individualiste (Allemagne ici)
et on peut penser que les résultats n’auraient pas été les mêmes dans une société aux tendances plus collectivistes comme le Japon par exemple.
Ensuite, cette étude se déroule dans un secteur d’activité tout à fait distinct et dont les caractéristiques sont propices à l’apparition de la spirale « fidélité/réduction ». Il serait intéressant alors de mener des recherches dans d’autres secteurs d’activité et notamment ceux où il y a peu voire pas d’interaction avec un vendeur.
Synthèse réalisée sous la direction de Jean-François TRINQUECOSTE.