Recherches en Sciences de Gestion, vol. 150, no. 3, 2022, pp. 85-112.
Sujet et contexte
Depuis les années 80, les programmes de fidélité (PF) sont prisés et s’étendent à de plus en plus de secteurs. Il s’agit même du choix stratégique le plus fréquent à l’échelle mondiale — en matière de marketing de la fidélisation — si l’on en croit les montants dédiés à ces programmes.
Malgré des chiffres très favorables, il est parfois compliqué d’estimer précisément et objectivement l’efficacité desdits programmes. Cette estimation est pourtant nécessaire car le coût très important de ces campagnes nécessite des rendements suffisants pour les rentabiliser. Il semble donc intéressant de distinguer la mesure de la fidélité au programme de celle de la fidélité à l’enseigne et de vérifier la transmission de l’une à l’autre.
Question de recherche
La question de recherche de cet article est de savoir si le programme conçu et mis en œuvre fidélise au programme ou à l’enseigne. On distingue donc la fidélité au programme qui est de nature transactionnelle et découle d’un avantage économique différé du rapport qualité-prix de l’offre, et la fidélité à l’enseigne qui est de nature relationnelle (engagement et attachement à l’enseigne et au personnel).
Les hypothèses sont les suivantes :
- H1 : Les bénéfices perçus du Programme de Fidélité (a. économiques, b. traitement préférentiel, c. bénéfices sociaux) influencent positivement la fidélité au programme.
- H2 : Les bénéfices perçus du Programme de Fidélité (a. économiques, b. traitement préférentiel, c. bénéfices sociaux) influencent positivement la fidélité à l’enseigne.
- H3 : La fidélité au programme influence positivement la fidélité à l’enseigne.
- H4 : La fidélité au programme médiatise les effets des bénéfices perçus du PF (a. économiques, b. traitement préférentiel, c. bénéfices sociaux) sur la fidélité à l’enseigne.
- H5 : La fidélité au programme influence positivement le taux de nourriture.
Méthodologie
L’étude compare 2 secteurs : épicerie et parfumerie. Ils semblent être opposés en termes d’implication des clients à l’égard des produits ; en effet, il est supposé que l’implication personnelle dans l’achat cosmétique est supérieure à celle de l’achat alimentaire. Pour cela, plusieurs magasins en région parisienne des deux leaders de ces secteurs ont été choisis afin de collecter des données auprès de 2 échantillons de consommateur (312 pour l’épicerie et 288 pour la parfumerie). La collecte s’est effectuée via un questionnaire, les répondants ont été sélectionnés aléatoirement en sortie de caisse et ont été filtrés par le truchement de la question suivante : « avez-vous la carte de fidélité de l’enseigne X ? » (le questionnaire a naturellement été administré auprès des consommateurs répondant par l’affirmative). La collecte s’est effectuée sur plusieurs jours et à des plages horaires différentes. Les instruments de mesure des construits ont été adaptés à partir des travaux antérieurs. Pour éviter de confondre les questions concernant le programme et celles qui concernent l’enseigne, chaque élément de mesure a fait clairement référence soit au programme soit à l’enseigne. Ont été mesurés : les bénéfices économiques, les bénéfices en traitement préférentiel, les bénéfices sociaux, la fidélité au programme, la fidélité à l’enseigne, et le taux de nourriture. A l’exception de la mesure du taux de nourriture, les participants ont répondu à l’ensemble des mesures en utilisant une échelle de type Likert en cinq points. Cette mesure a été effectuée en combinant le pourcentage des achats d’un répondant et sa fréquence de visite auprès de l’enseigne (Wirtz et al., 2007).
Principaux résultats
Les résultats de l’étude indiquent que les Programmes de Fidélité génèrent 2 types de fidélité : une au programme et l’autre à l’enseigne. Les bénéfices du programme passent par le programme lui-même avant d’apporter un “surplus” de fidélité à l’enseigne. La fidélité est construite autour du programme et du système de récompense et non autour de l’enseigne et de ses produits. Ainsi, la fidélité à l’enseigne se nourrit-elle de la fidélité au programme au travers des bénéfices perçus. Plus précisément, les évaluations positives des trois types de bénéfices augmentent la fidélité au programme dans les deux cas. En épicerie comme en parfumerie, seuls les bénéfices sociaux exercent une influence directe et significative, même si les moyennes obtenues restent faibles. Il a été démontré que les PF sont plus efficaces pour les produits à forte implication (parfumerie) que pour les produits à faible implication (alimentaire). De plus, la fidélité durable envers l’enseigne ne peut pas être le produit de l’engagement calculé, mais plutôt celui de l’engagement émotionnel envers le programme. Cette recherche montre que la fidélité au programme médiatise totalement les effets des bénéfices économiques et des bénéfices en traitement préférentiel sur la fidélité à l’enseigne, tandis qu’elle médiatise partiellement les effets des bénéfices sociaux sur la fidélité à l’enseigne. Cependant, étant donné que la fidélité à l’enseigne dépend d’autres paramètres peut-être plus importants que le Programme de Fidélité lui-même, cette recherche démontre une efficacité toute relative des Programmes de Fidélité sur la fidélité à l’enseigne. Il apparaît toutefois que la fidélité au programme a un effet d’entraînement significatif au niveau des achats effectués à dessein d’obtenir un maximum de récompenses.
Implications managériales
L’apport managérial de cette étude réside principalement dans la distinction entre fidélité au programme et fidélité à l’enseigne ; les deux stratégies de fidélisation nécessitant d’être managées différemment. Le Programme de Fidélité doit en effet générer dans un premier temps de la fidélité au programme pour ultérieurement provoquer de la fidélité à l’enseigne et donc favoriser le taux de nourriture.
Ainsi, les managers doivent-ils donner une priorité aux bénéfices économiques quand ils mettent en place leurs Programmes de Fidélité ; et ce, d’autant plus que l’opportunité donnée au consommateur de réaliser des économies est considérée comme le principal déterminant d’adhésion aux Programme de Fidélité.
Ajoutons qu’il est indispensable de personnaliser les offres et donc de mettre en place des bénéfices de traitement particulier afin de créer davantage de fidélité envers le programme. Il faut aussi améliorer les bénéfices sociaux afin de développer la fidélité à l’enseigne, en améliorant les interactions avec les employés et en préparant ceux-ci au mieux.
L’objectif est donc de développer une stratégie de récompense qui englobe les 3 types de bénéfices et de générer une véritable fidélité des membres du Programme, sans négliger l’amélioration continue de la valeur et donc la qualité des produits. .
Limites
Les limites de cette recherche sont les suivantes:
- L’enquête n’a été réalisée que sur 2 types d’enseignes, la parfumerie et l’épicerie, ce qui ne permet pas de généraliser les résultats à l’ensemble des secteurs.
- La fidélité à l’enseigne ne dépend pas uniquement des bénéfices des Programmes de Fidélité. Il faut prendre en compte d’autres paramètres tels que la proximité, la notoriété, le rapport qualité-prix, les promotions, la taille de l’assortiment et la qualité de service.
- Les hypothèses ayant été testées dans deux secteurs différents, il aurait été souhaitable de prendre en compte des variables modératrices telles que le secteur d’activité ou l’implication personnelle envers l’enseigne pour permettre de mieux distinguer les deux secteurs.