Cette recherche revisite le lien entre la fidélité et le prix, et notamment l’effet d’actions de promotion sur les prix, selon les différentes motivations d’achat des consommateurs fidèles et non-fidèles.
Yoon (K.), Tran (T.V.), « Revisiting the relationship between consumer loyalty and price sensitivity: the moderating role of deal-proneness », Journal of Marketing Theory and Practice, vol. 19, n° 2, pages 293-306, 2011.
Sujet
Pour que les actions de promotion sur les prix d’une entreprise aient des effets positifs, celle-ci doit s’attacher à comprendre comment les consommateurs répondent à une variation des prix, et comment ces réponses varient selon les types de consommateurs.
Cet article remet en cause le postulat selon lequel les consommateurs fidèles sont insensibles au prix lors de l’achat d’un produit acheté de manière récurrente, ainsi que l’utilité d’actions de promotion ciblant cette catégorie de consommateurs. Selon cette même théorie, il y aurait une homogénéité au sein des segments de consommateurs (fidèles et non-fidèles).
Dans cette étude, on met en avant les différentes motivations qui habitent les consommateurs au moment de l’achat, remettant ainsi en cause cette homogénéité. Ainsi, par exemple, au sein des consommateurs fidèles, certains renouvellent leur achat d’une marque spécifique en réponse à une action promotionnelle. D’autres consommateurs, non fidèles, changent de marque régulièrement en raison de leur lassitude. Ainsi, une hétérogénéité dans la sensibilité prix existe au sein de chaque segment, qui s’explique par l’arbitrage entre les différentes opportunités qui s’offrent au consommateur.
En parallèle, l’étude propose également d’étudier à partir de quel seuil de réachat on peut dire qu’un consommateur fait partie du segment des fidèles ou non fidèles, et oppose deux théories, celle qui dit que seul un consommateur fidèle à 99,9 % peut être considéré comme fidèle, et celui qui pose la limite à 50% entre les deux segments.
Questions de recherche
On se posera la question d’une nouvelle segmentation entre les consommateurs fidèles et les non-fidèles et d’un seuil entre les deux segments différent selon les catégories de produits. On pose comme hypothèse que quatre types de comportements d’achat existent, dont chacun est sous-tendu par des motivations spécifiques, réparties sur deux axes (fidèles ou non fidèles, sensibles aux actions de promotion ou pas). Enfin, on suppose que le comportement d’arbitrage des consommateurs, influencé par des actions de promotion sur les prix, a un effet modérateur sur la relation entre la fidélité et la sensibilité-prix.
Conclusions
En ce qui concerne la détermination du niveau de séparation entre les deux segments de consommateurs (fidèles et non fidèles), il apparaît qu’aucune des deux théories existantes étudiées (celle utilisant le seuil de 99,9% et celle utilisant celui de 50% comme limite de segmentation entre les deux groupes) ne sont optimales pour segmenter les consommateurs. L’étude montre que la limite de segmentation diffère selon les catégories de produit, entre 65 et 85%, avec cependant un seuil de démarcation égal de 80% pour trois des catégories. On propose alors comme solution de retenir 80% comme seuil de démarcation moyen, ou de garder la spécificité liée à chaque catégorie de produit, pour plus de précision dans la segmentation.
L’étude confirme également l’existence de quatre groupes de consommateurs. Les consommateurs loyaux font des achats répétitifs, soit à cause de leur préférence pour la marque – ils sont “value conscious”, c’est-à-dire conscients de la valeur de la marque – ou bien, à cause des actions promotionnelles : ils sont “deal-prone”, c’est à dire attirés par les bonnes affaires. Les consommateurs non-fidèles changent régulièrement de marque, soit dans une optique de recherche de variété, soit en réponse aux actions promotionnelles proposées par les marques concurrentes. Ainsi, l’étude montre que les consommateurs conscients de la valeur parmi les fidèles et ceux qui cherchent la variété parmi les non fidèles sont moins sensibles au prix, tandis que les consommateurs loyaux en quête de bonnes affaires et les non fidèles sont plus sensibles aux changements de prix.
Dans chacune des catégories de produits, on retrouve les quatre profils de consommateurs, et leur sensibilité aux prix selon qu’ils soient fidèles ou non. Ainsi, l’étude conclut que la fidélité et la propension à rechercher à faire une affaire interagissent sur l’influence d’un changement de prix sur le comportement d’achat d’un consommateur.
Implications managériales
Cette étude empirique a permis de déterminer la limite de segmentation entre les consommateurs fidèles et non fidèles, variable selon la catégorie de produits, ce qui permet aux managers de pouvoir dire avec précision quel pourcentage de leurs consommateurs est fidèle ou pas. Le modèle développé permet d’évaluer l’effet de la propension des consommateurs à être attiré par des promotions, sur la relation entre la fidélité et la sensibilité aux prix. Quatre comportements d’achats se distinguent, et sur chacun de ces segments, on peut estimer la sensibilité aux prix, et ainsi leurs motivations d’achat. La segmentation en quatre profils de consommateurs doit pouvoir permettre aux managers de mieux segmenter le marché des consommateurs, et construire leurs plans marketing de manière plus effective. Ainsi, ils peuvent concevoir des programmes de fidélité différents, et plus précisément d’adapter les stratégies de rétention et d’acquisition. L’étude propose deux programmes de rétention, ciblant les consommateurs fidèles conscients de la valeur de la marque, et les loyaux attirés par les bonnes affaires, mais également deux programmes d’acquisition, ciblant les consommateurs non loyaux en quête de variété et les non loyaux cherchant à faire des affaires.
Grâce à ce modèle, on peut prédire de manière plus précise comment chaque segment de consommateurs va répondre à la politique de prix de l’entreprise.
Par exemple, les actions marketing ciblant les consommateurs fidèles conscients de la valeur de la marque se concentreront sur les caractéristiques du produit productrices de valeur et de différenciation, alors que l’on ciblera les fidèles sensibles aux actions de promotions, par des avantages monétaires.
Limites
Cette étude se focalise sur la manière d’identifier un seuil de séparation entre les consommateurs fidèles et non fidèles, mais n’explique pas réellement dans quelle mesure les facteurs pris en compte sont responsables de la différence de seuil entre les différents types de produits et si (mais également comment) ils peuvent évoluer avec le temps.
De plus, le modèle développé prend seulement en compte la décision de choix de la marque mais pas les décisions concernant le moment ni la quantité d’achat. Etant donné que les consommateurs fidèles peuvent être plus sensibles aux prix lorsqu’ils prennent une décision concernant la quantité, un autre modèle devrait être développé prenant en compte les trois dimensions de l’achat (quoi, quand, combien). Les effets des actions de promotion sur le comportement d’achat devront être étudiés, en prenant en compte ces trois dimensions, et ce en fonction des quatre types de consommateurs.
Méthodologie
Cette étude empirique se base sur des informations proviennent du panel scanner de A.C. Nielsen, répertoriant les choix de marque sur 138 semaines concernant cinq catégories de produits : détergent liquide, ketchup, papier toilette, margarine et thon. Dans chaque catégorie, les cinq marques leader sont retenues, qui comptent pour deux tiers des ventes de la catégorie. Seules sont retenues les observations au-delà de 3 achats de la même marque dans la même catégorie sur les trois semaines. Au final, les données de 1397 ménages sont retenues.
Synthèse réalisée sous la direction de Jean-François TRINQUECOSTE