Tiphaine Gorlier, Géraldine Michel (2020) – Psychology and Marketing, 37 (4): 588-603 – Synthèse par Naëlle Maignon.
Sujet traité
Le sujet de cet article réside dans la détermination de l’impact que peuvent avoir les récompenses des programmes de fidélité sur les relations entre le consommateur et la marque et sur l’attitude envers la marque.
Questions de recherche
Comment les récompenses des programmes de fidélité influencent-elles la relation entre le consommateur et la marque ? Et quels types de récompenses permettent d’établir ou de maintenir des relations plus étroites entre les consommateurs et les marques ?
Méthodologie
Les auteurs ont utilisé la théorie de ” l’auto-expansion ” (accroître l’estime de soi) d’Aron et Aron (1986), qui démontre que pour développer les relations humaines, les individus incorporent les autres dans leur propre identité, et ont effectué deux expériences manipulant le caractère « spécial » des récompenses d’une marque.
La recherche se concentre sur un type de récompense de fidélité qui sont les « récompenses spéciales » caractérisées alors par la nouveauté et l’émotion. Contrairement aux récompenses banales qui font partie de la vie quotidienne, les récompenses spéciales sont inhabituelles, rares et extrêmes.
Six hypothèses de recherche ont été élaborées. H1 : une récompense spéciale entraînera une plus grande expansion de soi qu’une récompense « banale », H2a : plus la récompense est perçue comme extraordinaire, plus elle a un effet positif sur l’évaluation totale; H2b : plus la récompense est perçue comme extraordinaire, plus elle a un effet positif sur l’intention de recommander la marque ; H2c : plus la récompense est perçue comme extraordinaire, plus elle a un effet positif sur l’identification à la marque. H3a : une récompense spéciale mène à un plus grand niveau d’inclusion de la marque dans le soi quand la satisfaction est haute ; H3b : une récompense banale mène à un plus grand niveau d’inclusion de la marque dans le soi quand la satisfaction est haute.
Le premier test consiste en une enquête expérimentale bidirectionnelle avec deux types de récompenses : spéciale ou banale donc selon deux scénarios différents. Un pré-test a été réalisé avec trois experts, puis avec 34 étudiants. Le secteur bancaire a été choisi car les individus ont tendance à avoir une image indifférenciée des banques.
Les participants (120 femmes et 104 hommes) ont été recrutés à partir d’un panel web de consommateurs via Créatests (une société d’étude de marché spécialisée dans les données de panel et les méthodes en ligne). Les participants étaient constitués d’un échantillon représentatif au niveau national en termes de caractéristiques démographiques (âge, sexe, éducation et niveau de revenu). Au total, 108 participants (48 %) ont été soumis à la condition spéciale, tandis que 116 participants (52 %) ont été exposés à la condition banale. Un test du Khi2 a révélé qu’aucune des données sociodémographiques n’était reliée à des différences entre les deux groupes. Les réponses des participants ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire en ligne. Différents tests des hypothèses ont été effectués : ANOVA indépendante unidirectionnelle comparant les moyennes des deux groupes expérimentaux entre elles.
Le deuxième test est mené pour mettre à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle la satisfaction du client joue un rôle dans la relation entre la condition de groupe et l’inclusion de la marque dans le soi. Un pré-test a été effectué via 20 séances en face à face, puis 80 questionnaires en classe qui ont été soumis à des étudiants en marketing de premier cycle. Chaque répondant s’est vu présenter au hasard l’un des quatre scénarios hypothétiques concernant, soit une expérience de service satisfaisante, soit une expérience insatisfaisante, dans le passé.
Par la suite, le questionnaire a été administré en ligne par 97 femmes et 105 hommes qui ont été recrutés dans le panel Web de consommateurs de Créatests et répartis au hasard pour un des quatre scénarios. Au total, 41 participants (21%) ont été exposés à la condition banale de satisfaction, et 61 (30%) à la condition banale d’insatisfaction, tandis que 49 (24%) participants ont été exposés à la condition spéciale de satisfaction, et 51 (25%) à la condition spéciale d’insatisfaction. Un test du Khi2 a de nouveau été effectué.
Principaux résultats
Les principaux résultats de cette étude montrent qu’une récompense spéciale de la marque (nouvelle et stimulante) génère une plus grande « auto-expansion » du consommateur et des comportements plus positifs que dans le cas d’une récompense banale d’un programme de fidélité. Les récompenses spéciales offrent la possibilité d’accroître l’estime de soi et renforcent, à la fois, l’identification à la marque, l’intention de recommander et l’évaluation globale.
La satisfaction du consommateur peut modifier l’impact des récompenses spéciales et ordinaires sur l’inclusion de la marque.
En effet, pour les participants exposés à la récompense spéciale, la perception de l’inclusion de la marque dans le soi est plus élevée lorsque la satisfaction est forte que lorsqu’elle est faible. Lorsque la satisfaction est faible, peu importe si les récompenses sont spéciales ou banales, elles ne provoquent pas de différence quant à la perception de l’inclusion de la marque ; donc, cela sous-entend que le caractère extraordinaire de la récompense n’est pas susceptible de conduire à des niveaux plus élevés d’inclusion de la marque dans le soi lorsque la satisfaction est faible.
Ces résultats expriment le fait que, si une marque peut offrir des récompenses nouvelles et stimulantes, ce peut être un moyen, pour les consommateurs, d’accroître rapidement leur estime de soi. Cet impact est plus fort grâce à l’inclusion de la marque dans le moi du consommateur : plus la marque est incluse dans le moi du consommateur, plus l’auto-expansion du consommateur sera élevée et plus il lui sera susceptible de recommander la marque, de l’évaluer positivement et de s’identifier à elle.
Implications managériales
Cette étude permet d’aider à concevoir les programmes de fidélité en prenant en compte le fait que les consommateurs apprécient les récompenses « hors du commun » qui leur permettent de découvrir et de ressentir des émotions fortes. Les consommateurs seront plus enclins à s’engager dans des relations étroites avec les marques s’ils font l’expérience de l’auto-expansion.
Cependant, les récompenses spéciales ne semblent pas suffisantes face à des expériences négatives antérieures.
Par ailleurs, cette étude peut aussi servir à modifier le programme de fidélité et aider à avoir une perspective à long terme lorsque le manager met en place les récompenses du programme de fidélité ainsi que des activités supplémentaires. Les managers peuvent concevoir les récompenses et toutes les activités supplémentaires offertes aux consommateurs comme des outils stratégiques pour construire la relation entre le consommateur et la marque, et non seulement comme des outils pour récompenser les consommateurs fidèles à court terme.
Aussi, cette étude permet-elle de mieux comprendre les motivations des consommateurs à maintenir une relation avec la marque.
Limites
Cette étude a uniquement mesuré les intentions ; la méthode d’expérimentation basée sur des scénarios n’a pas permis d’étudier les comportements réels de fidélité des consommateurs.
Par ailleurs, la marque étudiée était une marque fictive ; il serait donc intéressant de réitérer ces expériences en prenant une marque existante associée à une base de données réelle de clients afin de mieux évaluer l’impact des récompenses réelles. Il aurait été intéressant aussi d’étudier dans quelle mesure les résultats sont influencés par la relation que les individus ont déjà avec la marque.
Par ailleurs, cette étude ne se concentre que sur les récompenses indirectes, c’est-à-dire celles qui ne sont pas liées au produit ou service principal.