Gwarlann de Kerviler et Raphaelle Butori, Recherche et Applications en Marketing. N°4, Octobre 201511
1- Sujet traité
Plutôt que d’axer son propos sur la fidélisation client du point de vue de l’entreprise, cet article a pour objet d’étudier comment un client va percevoir sa propre fidélité et en quoi cette fidélité perçue va affecter l’appréciation que ce client a des avantages qu’il reçoit de l’entreprise.
Cette recherche part d’un constat simple : 80% des enseignes françaises disposaient d’un programme de fidélité en 2013. De par ces programmes, les entreprises vont différencier leurs clients fidèles de leurs clients lambda. Cette segmentation de la clientèle par le biais de la fidélité s’effectue la grande majorité du temps grâce à une méthode d’analyse de la qualité client appelée méthode R.F.M. Cette méthode permet donc d’évaluer la fidélité d’un client selon trois critères : la récence (date du dernier achat ou temps écoulé depuis), la fréquence (périodicité moyenne des achats sur une période considérée) et la valeur (montant des achats réalisés par ce client sur la période étudiée).
Les auteurs de cette étude ont voulu voir si la fidélité perçue par le client est différente ou non de la fidélité telle qu’elle est faite au sein des entreprises. De plus, l’étude exposée dans cet article va essayer de voir en quoi la fidélité perçue va avoir un effet sur l’évaluation des avantages “offerts” au client par l’entreprise.
2- Questions de recherche
Cette étude va donc avoir deux questions de recherches à la fois distinctes et liées :
La première étude va essayer de mettre en lumière la perception individuelle de la fidélité des clients. En quoi le ciblage effectué par les entreprises afin de classer des clients comme “fidèles” peut être différent de ce que le client pense de sa propre fidélité. C’est à dire que l’étude va essayer de voir comment le client va se caractériser comme un client fidèle et en quoi cette fidélisation perçue va différer de la fidélisation faite par l’entreprise.
La seconde étude va avoir comme sujet, les conséquences de la catégorisation de soi comme un client fidèle sur les avantages reçus. L’étude montrera dans quelle mesure les bénéfices offerts au client doivent être en adéquation avec la façon dont le client se perçoit comme fidèle envers l’entreprise. Autrement dit, en quoi les bénéfices offerts sont-ils adaptés aux attentes?
3- Méthodologie
La première étude a été qualitative. En effet, pour voir comment des clients peuvent se sentir fidèles, les auteurs de cet article ont effectué 19 entretiens chez des clients afin d’identifier quels sont les attributs principaux qui caractérisent le prototype du client fidèle.
La seconde étude est quantitative avec une étude sur un échantillon de 194 étudiants universitaires. Les étudiants devaient choisir une marque de vêtements qu’ils affectionnent et recevaient ensuite soit un bénéfice fort (club premium) soit un bénéfice faible (simple communication d’événement). Ensuite, l’étude a recoupé leurs fidélisations perçues avec le bénéfice reçu.
4- Résultats
La première étude a débouché sur la confirmation de quatre attributs comme caractérisant le prototype du client fidèle. Le premier est le fait de privilégier cette marque par rapport aux autres dans la même catégorie. Autrement dit c’est le caractère exclusif ou quasi-exclusif. C’est à dire que le client va se tourner en premier vers la marque lorsqu’il cherche et achète un produit. Le deuxième élément est la continuité, le fait de considérer sa relation avec la marque comme durable. Le troisième élément réside en la confiance dans la marque, avoir donc la conviction que la marque est fiable et qu’elle ne nous amènera aucun problème. Enfin, le dernier attribut est le fait de rechercher de l’information sur la marque, de s’intéresser à elle.
Un client se considère donc comme fidèle s’il regroupe donc ces quatre attributs pour la marque : exclusivité, continuité, confiance et recherche d’information.
La seconde étude amène donc des réponses sur la perception des bénéfices reçus compte tenu de la fidélisation perçue. Il y a une très forte importance de la justice perçue dans la relation client/entreprise : la justice au sens distributive. C’est-à-dire que le client va faire un arbitrage entre le sacrifice consenti à être fidèle par rapport aux bénéfices retirés de cette même fidélité. Cet arbitrage permet au client de juger s’il y a équité (donc une légitimité perçue) ou non équité.
La première donnée retirée de cette étude est que la fidélité telle qu’elle est mesurée par l’entreprise prédit moins l’équité perçue d’un bénéfice reçu que la fidélité perçue. Autrement dit la méthode de segmentation de la fidélité des entreprises n’est pas forcément très pertinente.
L’étude nous permet de dégager deux situations “extrêmes” très intéressantes dans le cadre où l’équité perçue du bénéfice influence la satisfaction envers ce bénéfice.
Si le bénéfice reçu est supérieur à la fidélité perçue, cela crée une inquiétude chez le consommateur car il y voit une iniquité perçue. Cela a comme conséquence le fait qu’il se pose des questions sur les intentions de l’entreprise et notamment sur les demandes futures de cette même entreprise.
Si le bénéfice reçu est inférieur à la fidélité perçue, il n’y a étonnamment pas d’effet. En effet, le client considère que le bénéfice, même s’il n’est pas à la hauteur de la fidélité perçue, est déjà une petite attention et une reconnaissance sûrement annonciatrice d’autres avantages futurs.
5- Implications managériales
L’entreprise se doit d’être vigilante sur les bénéfices qu’elle accorde à ses clients. En effet, comme nous l’avons vu, le fait d’accorder des avantages à un client qui ne se perçoit pas fidèle va entraîner le risque de le perdre à cause d’une incompréhension, ainsi qu’un recours inutile à des ressources de l’entreprise.
Les sociétés doivent donc ajouter le critère de fidélité perçue dans leurs mesures de fidélisation client afin de coller au mieux aux attentes de leurs clients. De plus cette fidélité perçue doit être prise en compte lors de l’attribution de traitements préférentiels.
Si l’entreprise à accorder un bénéfice supérieur à la fidélité perçue du client, elle se doit de diminuer l’impression du client d’être traité de façon préférentielle en lui montrant que c’est une rétribution classique et non pas individuelle.
6- Conclusions de l’article
L’étude met en lumière le fait que le client perçoit sa fidélité à une entreprise par rapport à quatre critères qui sont l’exclusivité, la continuité, la confiance et la recherche d’information. Ces critères
sont donc totalement différents des critères utilisés par les entreprises pour segmenter leurs clients fidèles des clients lambda (la récence, la fréquence et la valeur). Ce décalage entre fidélité perçue et fidélité mesurée peut amener des décalages dans l’attribution ou non de bénéfices aux clients.
De plus, cette fidélité perçue à une forte influence sur l’évaluation du client sur les avantages reçus. Cela peut amener à des situations négatives où le client, se sentant trop récompensé par rapport à sa fidélité perçue, va perdre confiance en l’entreprise et peut la “quitter”.
Les entreprises ont donc tout intérêt à ne pas sur-récompenser les clients de risque de les perdre. D’autant plus qu’un client sous-récompensé se satisfera de ce bénéfice en le considérant comme annonciateur d’avantages futurs.